FORNACIS
(Fornacis)
Réalisateur : Aurélia Mengin
Année : 2018
Scénario : Aurélia Mengin
Pays : France
Genre : Drame, Fantastique
Interdiction : -12 ans
Avec : Aurélia Mengin, Philippe Nahon, Emmanuel Bonami, Anna D'Annunzio...
L'HISTOIRE : Anya roule seule sur les routes, à bord de sa voiture rétro, une 1961 Facel Vega. Sur le siège passager, une urne, contenant les cendres de Frida, son amour partit trop tôt. Inconsolable, Anya ressent physiquement et psychologiquement la présence de Frida, ce qui la plonge dans un univers trouble, dans lequel se télescope souvenirs, rêves et fantasmes. Lors d'un arrêt dans un bar perdu, le Fornacis, elle croise Wolf, un jeune homme qui semble aussi perdu qu'elle. Cette rencontre parviendra-t-elle à lui faire oublier Frida ?
MON AVIS : Après avoir fait des études de mathématiques à la Sorbone, Aurélia Mengin, originaire de l'île de la Réunion, décide d'abandonner ce domaine de compétences pour se lancer dans le cinéma. Dès 2011, elle met en scène des courts-métrages, tels Macadam Transferts, Karma Koma, Autopsy des Délices ou bien encore Adam moins Eve. Suite au succès de Adam moins Eve en festival, Aurélia décide en 2018 de tenter l'expérience du long-métrage avec Fornacis, une oeuvre déstabilisante, expérimentale, parfois hermétique mais qui saura emmener dans un road-trip sensoriel et visuel le spectateur qui se laissera happer par son ambiance, ses images et son atmosphère sonore. Film sur l'amour absolu et la difficulté de faire le deuil d'un être cher, Fornacis étonne et surprend par ses choix radicaux, comme cette totale absence de dialogues entre les personnages par exemple. Seule une voix-off se fera entendre à intervalle régulier, correspondante aux pensées d'Anya, à son ressenti face à la perte de Frida. Un choix courageux pour un premier film, preuve que cette nouvelle génération de réalisatrices ose et tente des choses, gardant à l'esprit leur univers sans se soumettre aux codes de la rentabilité, quitte à provoquer le rejet ou un manque d'adhésion auprès du public. Car Fornacis est très loin des standards du genre et Aurélia Mengin n'a pas eu peur de déconcerter son audience pour mener à bien ce projet. Réalisatrice, scénariste et actrice de Fornacis, Aurélia Mengin (qui est aussi la créatrice du festival Même pas Peur qui se déroule à la Réunion) endosse plusieurs casquettes et la plupart lui vont plutôt bien. Comme réalisatrice, elle fait preuve d'une belle créativité et j'ai franchement été surpris par la beauté visuelle du film, avec un travail sur la lumière et les jeux de couleur absolument admirable, on pense souvent à Mario Bava (oui je sais, dès qu'il y a un travail sur les couleurs, on cite ce réalisateur mais franchement, c'est bien à lui et à Dario Argento que j'ai pensé lors de certaines scènes) et la composition des plans est assurément très travaillée. En tant qu'actrice, Aurélia s'en sort également fort bien et possède un réel charisme qui fait qu'on est comme hypnotisé par son jeu, son élégance, sa présence. Elle donne une réelle épaisseur au personnage d'Anya, lui offre sa fragilité mais aussi sa force. Hypnotique, le film l'est tout autant dans son ensemble d'ailleurs. Comme déjà évoqué, c'est un sorte de trip visuel et surtout sensoriel, le travail sur l'ambiance sonore étant d'une minutie assez incroyable : chuchotements, battements de cœur, respiration, cris stridents, silence total, autant d'éléments qui viennent nous plonger, comme le personnage principal, dans un entre-deux mondes envoûtant, dont on ne maîtrise pas toujours l'espace-temps. Le film débute comme une sorte de road movie pour bifurquer vers un univers étrange, croisement de ceux de David Lynch, d'Alejandro Jodorowski ou même de Gaspar Noé. Outre les éléments sonores déjà cités plus haut, la musique qui compose Fornacis amplifie également cette sensation d'étrangeté qu'on ressent tout au long du film. Le morceau joué à environ dix minutes du film, quand Anya roule au volant de sa voiture m'a même fait penser à du John Carpenter. Par petite touche, Fornacis déploie son élément fantastique en la présence du fantôme de Frida, interprétée par Anna D'Annunzio, actrice qu'on a pu voir dans L'étrange Couleur des Larmes de ton Corps. Ce spectre, cette présence qui refuse de quitter Anya, à moins que ce ne soit l'inverse, donne lieu à des scènes ensorcelantes, comme lors de la scène d'amour entre Aurélia Mengin et Emmanuel Bonami par exemple et dans laquelle vient s'inviter Frida. Autre idée puissante et assez fascinante à l'écran, le fait que ce refus de faire le deuil de Frida va littéralement contaminer Anya dans son esprit mais aussi dans sa propre chair. Le corps de la jeune femme est en effet marqué par des marques grisâtres, des sortes de blessures dans lesquelles se seraient incrustées les cendres du corps de Frida. Et ça ira crescendo, un peu à la manière du pourrisement du corps de l'héroïne du film d'Eric Falardeau Thanatomorphose. On le voit, Fornacis est un film tout en symbole et métaphore et c'est en ça qu'il malmène le spectateur, qu'il le sort de sa zone de confort. Poétique, onirique, Fornacis est un ovni dans le paysage français. Dommage qu'aucun distributeur ne prend le temps de s'y intéresser. Heureusement, le film est programmé dans quelques festivals mais on espère qu'il va connaître une meilleure mise en avant tant il possède des qualités indéniables qui en font une vraie expérience à part, qualités qui éclipsent quelques petits défauts de rythme (la scène dans le bar avec Philippe Nahon, un peu longue pour ma part). En tout cas, Aurélia Mengin peut être fier de son film et prouve avec Fornacis que les femmes ont désormais leur mot à dire dans le cinéma de genre. Elle rejoint Julia Ducorneau et Coralie Fargeat dans le cercle restreint des réalisatrices sur qui il faudra désormais compter. Trois styles totalement différents pour Grave, Revenge et Fornacis et c'est justement ça qui fait tout l'intérêt de la chose. Girl power !
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