6 FEMMES POUR L'ASSASSIN
(Sei Donne per l'Assassino / Blood and Black Lace)
Réalisateur : Mario Bava
Année : 1964
Scénariste : Giuseppe Barilla, Mario Bava, Marcello Fondato
Pays : Italie
Genre : Giallo
Interdiction : -12 ans
Avec : Cameron Mitchell, Eva Bartok, Tomas Reiner, Arianna Gorini, Mary Arden...
L'HISTOIRE : Un mystérieux assassin commet des meurtres sauvages sur les mannequins d’une célèbre agence de haute couture. La police mène l’enquête...
MON AVIS : 1963. Mario Bava réalise La fille qui en savait trop, un thriller italien qui commence à poser les fondements de ce qu’on appellera par la suite le giallo. La même année, outre Le Corps et le Fouet, il tourne Les trois visages de la peur, dont le premier sketch intitulé Le Téléphone joue également avec ce qui deviendra les codes du genre du giallo. En 1964, il reprend les recettes de ses deux films de 1963, les actualise, les modernise, se lâche dans des décors baroques, joue avec les couleurs et pose véritablement les bases du giallo, mettant en scène dans une banale enquête policière un assassin entièrement vêtu de noir, ganté, portant un masque et commettant ses crimes de différentes manières. Violence, sadisme, jolies filles, meurtres et whodunit se combinent avec une alchimie parfaite dans son 6 femmes pour l’assassin, œuvre phare, référence absolue pour qui aime le giallo. Pourtant, le film, coproduction Italo-franco-allemande dont le tournage dura six semaines, ne connut guère un grand succès à l’époque de sa sortie et le genre qu’il fit naître ne décolla vraiment qu’avec la sortie de L’oiseau au plumage de cristal de Dario Argento en 1970. Six femmes pour l’assassin est pourtant une pièce maîtresse du genre, nouvelle preuve du génie de Mario Bava dont la filmographie ne cessera d’influencer les futures générations de réalisateurs. Dès le générique, Bava surprend son monde par son inventivité. Le nom des acteurs et des actrices vient se superposer sur une image les présentant immobiles, tels des statues, comme autant de photographies avec mise en scène. Le début de l’œuvre ne sera pas non plus sans nous rappeler un certain Suspiria, qui ne débarquera qu’en 1977 et qui, pourtant, entretient un étroit rapport pictural avec le film de Bava, tant au niveau des décors que du jeu de lumière fortement coloré, qui plongent chaque séquence de ces deux films dans une ambiance fantasmagorique. Par une nuit orageuse, un jeune mannequin regagne l’immense demeure de la Comtesse Christina Como, devenue une luxueuse maison de haute couture. Alors que la jeune femme tente de gagner rapidement la porte malgré un vent assez violent, la voilà qui se fait agresser par un mystérieux personnage, vêtu d’un imperméable noir, ganté, portant un chapeau et une sorte de masque sur le visage, le rendant méconnaissable. La figure récurrente du giallo dans toute sa splendeur vient d’apparaître pour la première fois sur un écran de cinéma. Un look qui fera date et qui se fera même parodier dans le moindre détail dans la série de films érotico-gore des Fantom killer. Mario Bava laisse libre court à son imagination, ne se refuse rien, ne se censure pas, et fait baigner son film dans une atmosphère assez érotique, puisque chaque meurtre nous détaillera les soutiens-gorge ou bas de jarretelles que portent ces demoiselles. Des meurtres au nombre de six bien sûr, qui se révéleront tous originaux, la mise à mort étant à chaque fois différente. Un procédé que nous retrouverons également dans les futurs slashers movies, dont Mario Bava sera encore une fois l’un des précurseurs avec son fameux La Baie Sanglante en 71. Le second meurtre, toujours baigné dans une atmosphère morbide et fantasmatique, avec des lumières rouges, vertes, violettes, nous dévoilera un curieux instrument, une sorte de gant d’acier pourvu de trois crochets, et qui restera la marque de fabrique du film, l’arme dont tous les spectateurs se rappellent malgré le fait qu’elle n’apparaisse qu’une seule fois dans le film. Notre tueur, froid et déterminé, nous gratifiera par la suite d’autres joyeusetés, comme un visage brûlé, une noyade dans une baignoire ou un étouffement à l’aide d’un coussin par exemple. Des meurtres savamment orchestrés, presque artistiques parfois, et on ne cherchera plus la source d’inspiration de Dario Argento, qui a magnifié ce que Bava avait instauré avec ses films. Notons que 6 femmes pour l’assassin a connu deux montages. Une version censurée et une version intégrale donc. La violence montrée dans le film fera bien sûr sourire à notre époque et on se demandera quel était l’intérêt de "couper" certaines images tant elles apparaissent soft pour le spectateur d’aujourd’hui. Car en plus de priver le spectateur des images les plus sanglantes (toute proportion gardée bien sûr), certaines coupures se révéleront carrément handicapantes car privant le spectateur de la logique suivie par le tueur. Le meurtre de la cinquième victime se verra, par exemple, privé d’une scène capitale, celle où le tueur sectionne les veines de sa victime au rasoir, afin de faire croire que cette dernière s’est suicidée. Sans cette séquence, l’histoire perd de sa logique. La coupe la plus marquante restant, quant à elle, la disparition pure et simple de la scène où le tueur sort de sa poche son gant d’acier griffu. Hop, aux oubliettes l’arme culte. Inutile de dire que ce montage cut est totalement à oublier et que seul le montage intégral rend justice au travail de Bava et de son équipe. Outre ses meurtres diaboliquement stylisés, l’autre force du film est bien sûr la réalisation même de Bava. Mélangeant gothique et modernisme, jouant avec habileté sur le suspense, la terreur, la peur, chaque décor, chaque pièce devient ici un potentiel lieu de mort, d’où le tueur peut surgir à chaque instant. Escaliers, corridors, espaces labyrinthiques, miroirs, Bava joue avec l’espace, avec les perspectives, avec les objets présents dans les différents lieux pour faire naître une angoisse palpable qui terrorisera les futures victimes. Sa caméra se place toujours là ou il faut, faisant se hisser à un très haut niveau un film dont le scénario n’a rien d’extraordinaire. En effet, d’un point de vue scénaristique, 6 femmes pour l’assassin reste d’une facture assez classique. L’enquête policière est sobre, conventionnelle mais grâce au talent de Bava, elle prend une tournure bien plus intéressante qu’elle ne l’est et permet aux spectateurs de ne jamais décrocher et de rester attentif à tous les détails qui pourraient permettre d’en savoir plus sur le tueur et ses motivations. Habile, Bava s’amuse également à brouiller les pistes et fait de tous les hommes présents dans la maison de haute couture des tueurs potentiels. Chacun d’entre eux semble en effet avoir quelque chose en commun avec Isabella, la première fille assassinée et la découverte surprise de son journal intime semble bien les inquiéter. Tous comme certaines demoiselles également, qui semblent bien décidées à découvrir ce qui peut bien être écrit sur les pages de ce recueil. Ce journal intime, mis dans un sac à main, nous donnera l’une des meilleures séquences du film, séquence où ce sac devient l’objet de toutes les attentions et où la caméra de Bava devient presque le sac à main lui-même. Et donc, les yeux des spectateurs. C’est techniquement et artistiquement admirable. Niveau casting, les personnages principaux sont campés avec prestance par un excellent trio, Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner, trio auquel vient s’ajouter les nombreuses actrices et acteurs interprétant les mannequins et les hommes travaillant dans la maison de haute couture, qui livrent tous une prestation de bonne qualité, parachevant de faire de 6 femmes pour l’assassin une œuvre formelle et importante, qu’il faut redécouvrir toute affaire cessante. Véritable tour de force stylistique juxtaposant chorégraphie meurtrière, jeu de lumière vertigineux et sadisme prononcé, 6 femmes pour l’assassin, malgré le poids des années, reste une œuvre phare et magistrale de son réalisateur. Mario Bava prouve une fois de plus qu’il était en avance sur son temps et son talent et son énergie à tenter des choses nouvelles, à expérimenter, donne une fois de plus une œuvre intense, raffinée, qu’on ne se lasse pas de voir et de revoir. Un film phare du cinéma italien.
LE DVD/BR :
Troisième titre de la collection Make my Day de Jean-Baptiste Thoret. Un excellent choix évidemment, une édition sur support numérique rendant justice au travail artistique cinq étoiles de Mario Bava et de son équipe technique. Attention, le film est uniquement présenté en version italienne sous-titrée français et ne dispose pas de la piste audio française. Concernant les bonus, outre la traditionnelle préface de Jean-Baptiste Thoret, un module de 45 minutes environ laisse la parole à Christophe Gans qui ne peut que vanter les louanges de ce film culte.
* Disponible en combo DVD / BR chez STUDIOCANAL
Chef-d'oeuvre du genre tout simplement
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