KANAL
(Kanal)
Réalisateur : Andrzej Wajda
Année : 1957
Scénariste : Jerzy Stefan Stawinski
Pays : Pologne
Genre : Guerre, Drame
Interdiction : /
Avec : Teresa Izewska, Tadeusz Janczar, Wienczyslaw Glinski, Emil Karewicz...
L'HISTOIRE : 1944, ultime résistance des Polonais de Varsovie contre l'occupant. Acculés, épuisés, et encerclés par les Allemands, un détachement de soldats est contraint de fuir par les égouts pour rejoindre le centre-ville où les combats se poursuivent encore. Tous ont une histoire, tous ont peur de mourir, tous ont tellement envie de vivre. Mais les égouts ressemblent de plus en plus à un piège...
MON AVIS : Andrzej Wajda est le plus important et célèbre réalisateur polonais avec Roman Polanski. Sa carrière et ses films ont reçu de nombreux prix et récompenses diverses, dont la Palme d'Or à Cannes en 1981 pour L'Homme de Fer, le Prix d'or de la meilleure réalisation au Festival de Moscou 1970 pour Le Bois de bouleaux, le Grand prix de la critique internationale au Festival de San Sebastián 1980 pour Le Chef d'orchestre, le Prix Louis-Delluc en 1982 pour Danton, le César du meilleur réalisateur en 1983 pour Danton et j'en passe. Né en 1926, Andrzej Wajda a réalisé son premier film en 1955 (Une fille a parlé - Une génération). Deux ans plus tard, ce sera au tour de Kanal de sortir sur les écrans, puis, en 1958, de Cendres et Diamant, qui forment ce que les cinéphiles nomment La Trilogie de la Guerre d'Andrzej Wajda. Cinéaste néoréaliste, à l'instar de Roberto Rosselini par exemple, Wajda propose avec Kanal un drame de guerre qui ne connût pas un grand succès en Pologne à l'époque de sa sortie mais qui fût réhabilité par la suite, notamment grâce à l'obtention du Prix spécial du jury au Festival de Cannes en 1957. Kanal, également connu sous le titre de Ils Aimaient la Vie, est consacré à l'insurrection de Varsovie. C'est un très beau film, filmé dans un superbe noir et blanc, au ton très pessimiste puisque dès l'introduction, on nous annonce qu'on va suivre les derniers jours de vie d'un groupe de personnes faisant partie d'un détachement militaire. Une introduction radicale, qui nous place d'emblée dans l'ambiance. Loin des films de guerre américains, dans lesquels l'action et l'héroïsme priment sur le réalisme (pas pour tous les films évidemment mais quand même pour une très large majorité), et bien plus proche de Rome Ville Ouverte par exemple, Kanal nous emmène avec des êtres humains qui s'accrochent à la vie malgré une situation de plus en plus difficile, l'envahisseur allemand étant en train de tout détruire, de tout exterminer. Un envahisseur germanique qui n'est d'ailleurs quasiment jamais montré à l'écran et c'est une des originalités du film. Car hormis lors de la séquence finale, on ne voit jamais les soldats ennemis. On entend le sifflement des balles, le bruit des avions ou des chars, ce qui augmentent la notion de stress et d'angoisse que les protagonistes, comme les spectateurs, ressentent mais ces éléments ne sont jamais clairement dévoilés, la caméra se concentrant sur les personnages qui vont faire l'histoire du film. Une caméra avec laquelle Wajda s'illustre avec une réelle virtuosité, faisant évoluer sa manière de filmer et de composer ses plans avec l'intensité montante de la dramaturgie des événements présentés à l'écran. Le cinéaste dira d'ailleurs à ce sujet : " C’est ainsi que la première partie […] doit être filmée dans un style le plus proche possible du documentaire avec de longues prises, des travellings, des plans d’ensemble et sans gros plans. Deuxième partie : les images s’intensifient, la lumière vacillante des flammes, des gros plans, insister sur l’église aux statues carbonisées, les blessés. Troisième partie : les égouts. La descente et la première partie sont normales, puis, surtout dans les scènes de gros plans, une troublante profondeur de champ (surimpression). Une sortie des égouts très cahotante et un inquiétant plan de situation..." S'intéressant tout autant à ses personnages qu'à la technique cinématographique, Wajda brosse de beaux portraits d'hommes et de femmes tentant coûte que coûte de survivre dans l'enfer de la guerre, tout en sachant que leur survie ne tient qu'à un fil et que leurs heures sont comptées : le lieutenant dirigeant le détachement souffre de voir ses hommes et ses femmes perdent espoir ; un militaire couard ne fera que mentir pour assurer sa survie ; un civil, musicien en herbe, trouvera un peu de réconfort lorsqu'il pourra jouer du piano, avant de sombrer peu à peu dans la folie et de se transformer en une sorte de fantôme, déambulant dans les égouts comme une âme perdue ; un premier couple, composé d'un militaire et d'une jeune civile, tentent de vivre une belle histoire d'amour avant que le militaire ne lui avoue qu'il a une femme et un enfant, ce qui brisera l'unique raison de vivre de la jeune femme ; un autre couple, le plus touchant du film, est composé quant à lui d'un militaire sévèrement blessé et d'une belle résistante blonde (Teresa Izewska), qui s’avérera une véritable femme forte, un personnage iconique mue par un désir de vivre véritablement émouvant, que Wajda n'empêche pas d'être sexy malgré les horreurs qui se déroulent autour d'elle. Tous ces anti-héros évoluent simplement, sans maniérisme, et Wajda n'en fait pas des super-héros, ils sont juste des humains avec des faiblesses, des failles, des doutes, et que l'amour, qui tient une place prépondérante dans le film, permet de maintenir en vie. Emprunt d'un lyrisme exacerbé, Kanal distille ses images avec classe et nous prend par la main, nous emmenant au plus près de ces soldats d'infortune qui, pensant trouver une sortie fiable dans les égouts, ne vont au final trouver que la mort. La fuite à travers les égouts est assurément la partie du film la plus dramatique et la plus maîtrisée. Les égouts deviennent un véritable labyrinthe scindant le groupe uni en plusieurs, un véritable dédale de couloirs nauséabond, emplis d'eaux, de merde et de gaz, qui deviendront un tombeau pour nombre de personnes les empruntant en espérant y trouver la solution d'éviter les allemands stationnés dans les rues de la ville. L'étreinte finale du couple sans avenir, bloqué par une grille scellée les empêchant de retrouver une liberté perdue, m'a rappelé la superbe scène finale de Duel au Soleil entre Jennifer Jones et Gregory Peck. Avec Kanal, Andrzej Wajda signe un drame sombre et nihiliste, qui ne glorifie jamais la guerre et se montre vraiment étouffant dans les scènes dans lesquelles les personnages se retrouvent dans ces égouts mortifères. Une belle oeuvre qui mérite bien sa réhabilitation. « Tout au fond de ce gouffre obscur, je vois des hommes mourants dans un égout affreux, qui, de ses entrailles, exhale un flux impur » L’ENFER de Dante, texte prononcé par le personnage du musicien dans le film.
* Le film a été remasterisé et ressort dans certains cinémas dès le 4 décembre 2019 grâce à Malavida Films
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire