BLACK JOURNAL
(Gran Bollito)
Réalisateur : Mauro Bolognini
Année : 1977
Scénariste : Nicola Badalucco, Luciano Vincenzoni
Pays : Italie
Genre : Drame, Horreur
Interdiction : -12 ans
Avec : Shelley Winters, Max von Sydow, Renato Pozzetto, Alberto Lionello, Laura Antonelli...
L'HISTOIRE : En 1938, en Italie, Lea s'installe dans un immeuble en compagnie de son mari afin de se rapprocher de son fils unique, Michele, pour qui elle voue une affection débordante. Quand elle découvre que son fils a une liaison amoureuse avec une dénommée Sandra, la raison de Lea vacille et la gentille dame sombre peu à peu dans une douce folie, qui la mènera à assassiner ses voisines et à les transformer en savon afin de faire disparaître les corps...
MON AVIS : Cinéaste italien à qui l'on doit Le Bel Antonio en 1960, La Corruption en 1963, Chronique d'un Homicide en 1972 ou La Dame aux Camélias en 1981 entre autres, Mauro Bolognini est également le réalisateur de Gran Bollito en 1977, rebaptisé Black Journal pour sa diffusion à l'étranger. Très clairement, c'est une oeuvre totalement atypique et déconcertante que Bolognini nous livre avec Black Journal. L'histoire prend racine dans un fait divers italien bien réel, celui concernant Leonarda Cianciulline, tueuse en série et cannibale italienne, qui a assassiné trois femmes entre 1939 et 1940, et a transformé les cadavres en savon et en gâteaux ! Ses motivations ? Après avoir eu plus de treize enfants morts-nés ou avortés, Leonarda, qui est diseuse de bonne aventure de profession, se dit "maudite" par la Mort. Quand elle réussit a avoir enfin un fils, c'est le bonheur; Mais quand ce dernier est appelé par l'armée pour se préparer à la guerre mondiale qui se profile, elle perd la raison et devient une sorte de sorcière, assassinant trois femmes en guise de sacrifice humain, pensant conjurer le mauvais sort qui s'acharne sur elle. Elle accusera son fils des meurtres, réussissant ainsi à lui faire passer la guerre en prison. C'est en 1946 qu'elle est reconnue coupable des trois meurtres et condamnée à trente ans de prison. Elle dira aux juges "qu'il faut être une mère pour comprendre ses actes". Ce curieux fait divers sert donc de support aux scénaristes Nicola Badalucco et Luciano Vincenzoni, pour ce qui deviendra donc Black Journal sous la caméra de Mauro Bolognini. Pour interpréter l'extravagante Leonarda Cianciulline, rebaptisée dans le film Lea, c'est Shelley Winters qui est retenue. Avec une carrière débutant en 1943 et se terminant en 1999, l'actrice n'est pas une inconnue du public, qui a pu la voir dans des films aussi différents que Winchester 73, Une place au soleil, La Nuit du Chasseur, Lolita ou Bloody Mama par exemple. En 1977, elle n'a plus son physique d'antan mais malgré de nombreux kilos en trop, elle livre une composition absolument époustouflante dans Black Journal et tient le film sur ses épaules. Il faut savoir qu'au départ, Bolognini avait dans l'idée de n'engager aucune femme et de faire interpréter tous les personnages féminins de son film par des hommes. Une idée originale, qu'il conservera en partie puisque les trois voisines, futures victimes de Shelley Winters, sont bien campées par des acteurs, dont Max von Sydow ! Avec des habits de femmes, maquillage, talons aiguilles et perruques, Max von Sydow, Renato Pozzetto et Alberto Lionello jouent donc des femmes et avec une vraie conviction en plus. Evidemment, le spectateur voit très bien qu'il s'agit d'acteurs masculins grimés, ce qui donne au film un côté totalement décalé, voir grotesque, mais dans le bon sens du terme, c'est à dire jamais ridicule mais provoquant un trouble chez le public, qui se demande qu'est-ce qu'il est en train de regarder ! Cette sensation d'étrangeté créée une ambiance assez particulière qui s'avère vraiment déstabilisante et pourra rebuter un public lambda peu habitué à ce qu'on le malmène de la sorte devant son écran. Les amateurs d'objet filmique non identifié y trouveront par contre matière à discussion et se feront un plaisir de cinéphile à découvrir cette oeuvre hors norme. Le film brasse, de plus, divers genres et diverses thématiques, ce qui renforce son aspect inhabituel. Drame, comédie d'humour noir, film d'horreur, traitant aussi bien de l'identité sexuelle, de la frustration sexuelle chez les femmes, du poids de la religion que de la souffrance mentale provoquée par la perte d'enfants (fausse couche, avortement, mort-né, mort subite du nourrisson) ou de l'amour absolu que peut ressentir une mère pour son fils, tout en jouant avec les codes des films de sorcellerie, c'est tout cela Black Journal, mis en scène avec une véritable maîtrise par Bolognini. Les scènes de meurtres sont assez soft, souvent filmées en hors champ ou montrées très rapidement (la décapitation au hachoir), à l'inverse de la thématique de la sorcellerie, qui, sans être jamais appelée ainsi de manière franche dans le film, ne passe pas inaperçue ! Lea utilise un chaudron pour faire cuire les restes humains de ses victimes, elle prépare des gâteaux à base de sang ou de poudre d'os qu'elle a minutieusement écrasée, propose des tisanes ou autres décoctions de son invention à ses invités et bénéficie de l'aide d'une sous-fifre, en la personne de la frêle femme de chambre, handicapée et quasi muette. L'image de la sorcière et de tout son attirail nous vient rapidement à l'esprit et est présentée ici de manière subtile, métaphorique. L'humour noir est omniprésent et fait mouche la plupart du temps. La présence radieuse de la sublime Laura Antonelli, qui interprète ici un rôle à contre-courant, puisqu'elle incarne la figure angélique, la personne saine et non délurée du film (désolé messieurs, elle ne se dénudera pas ici), contrastant avec tous les autres protagonistes, qui ont tous une "anomalie", qu'elle soit comportementale ou physique, est également à mettre en avant. Autre subtilité du film, les faits que les trois acteurs jouant les voisines de Shelley Winters vont revenir à un moment du film sous leur apparence masculine, interprétant donc un second personnage, et qu'ils vont tous avoir une responsabilité dans l'arrestation de la meurtrière folle, comme si Bolognini leur permettait de se venger de leur mort en tant que femme. Autre personnage à part entière, la fameuse "pièce" dans laquelle s'opère les trois meurtres, et dont l'agencement ou les couleurs des murs contrastent là encore avec le reste de l'appartement, lui conférant une sorte d'aura maléfique, de pièce cachée inavouable. Principalement axé sur le jeu d'acteur, Black Journal est un film à prendre au second degré, une sorte de fable noire assez radicale, qui s'autotise pas mal de débordements, d'extravagances, quitte à perdre son public qui ne sera peut-être pas toujours réceptif à son audace. Totalement inédit en France au cinéma jusqu'en 2019, sortie en VHS en version tronquée de 20 minutes environ, découvrir Black Journal est une expérience qui se doit d'être vécue en tout cas.
* Disponible en DVD et BR chez RIMINI EDITIONS en version intégrale
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